Après deux ans de danse classique, plutôt académique et rigide, je cherchais un autre enseignement. Je rencontrais Muriel, intimidée car il s’agissait d’un cours privé. J’avais quatorze ans et ne me doutais pas de l’importance que cela aurait dans mon existence !
Le studio était un lieu très nouveau, beau, extraordinaire… dont il émanait une présence, une sérénité.
Je découvrais, à travers un enseignement exigeant, plein d’une rigueur bienveillante, des notions nouvelles : l’importance du placement correct du bassin, l’enracinement, les élongations de tous les muscles, la sensation du sol, la lenteur attentive pour ne pas forcer, la connaissance du corps. Le travail sur tapis, souvent imprégné de yoga, le travail debout à la barre et au milieu du studio, l’importance de la respiration, la conscience de l’espace tant extérieur qu’intérieur et les déplacements dans ces espaces…
Puis les enchaînements, l’expression dansante, la fluidité, le rythme. Nous étions accompagnées au tombak par Muriel (comme j’aimais ces sons ! !) qui nous guidait et observait, au plus près des qualités et des soucis de chaque élève afin de les encourager et les corriger.
Ces cours m’ont amenée à des modifications physiques et mentales. Tout cela sur des années de travail en profondeur qui ne permet pas un retour en arrière pour l’essentiel.
La danse de Muriel amène à une ouverture ; elle invite à la continuité du mouvement au-delà des limites corporelles, une projection, quelles que soient les capacités des uns et des autres ; il ne s’agit pas tant de performances, mais de ce qui est dit, exprimé…
Dans le même temps, et là aussi se présentaient bien d’autres ouvertures, nous découvrions des musiciens remarquables (la musique iranienne entre autres…). Les musiciens se déplaçaient pour certains cours ou bien aux concerts organisés dans le studio, des chanteuses, les stages de Kriya avec le Pandit Ravi Shankar, la méditation, la dimension spirituelle que tout cela impliquait si on le voulait, l’existence d’Ellie Foster et sa profonde connaissance du « centre solaire du corps », l’initiation avec d’autres élèves, à la danse classique javanaise : les cours que donnait encore Djemil Anik quoique bien âgée et aussi bien d’autres rencontres, fugitives parfois, mais remarquables.
Quelle chance j’ai eu. Mon parcours a été semé d’arrêts, de reprises, toujours avec la même joie.
Le choix de mon métier, kinésithérapeute, je l’ai fait en pensant à la possibilité d’appliquer les bases de ce travail, qui donnerait une approche originale à cette profession, exercée auprès d’enfants de tout âge et d’adolescents, dès que l’occasion s’en présentait (aussi parfois auprès de certains adultes et de proches) je « piochais » dans ce que j’ avais appris !
Les analogies et visualisations mentales dont se servait Muriel pour nous amener à la juste sensation et au mouvement ou déplacement juste, je les utilisais à mon tour.
Il y a quelques années, alors que j’avais repris les cours de nouveau, j’ai dû m’éloigner de Paris…ce fut un manque cruel…je cherchais désespérément un « équivalent » (on devient exigeant soi même quand on a suivi les cours de Muriel ! !) et ne trouvai rien.
Alors je fis un essai en gi gong et en taïchi… C’était finalement et je m’en aperçu rapidement, ce qui se rapprochait le plus de ce que j’avais connu. Là aussi s’est révélée la marque du travail accompli, qui m’a tant facilité l’apprentissage de ces arts martiaux dans ce qu’ils ont en commun avec l’enseignement de Muriel : l’assise du bassin, l’enracinement, lenteur et vitesse, ressenti de l’espace, l’harmonie des déplacements avec les autres élèves, chacun dans le même temps concentre sur son intériorité. Je continue bien sur jusqu’à présent…
Voilà, dit en très raccourci… un peu du temps passé au 5 villa Seurat.
Alors oui, j’ai tant de reconnaissance pour la providence qui m’y a conduite … et une immense gratitude pour mon très cher professeur, Muriel.
Anna Mippi
Kinésithérapeute hospitalière